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Revue N° 2 - (septembre 1997) pages 71 à 78 |
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Quai Saint-Laurent poèmes de Roger Toulouse pour quelques amis - 1948 par Pierre Garnier Les trois premiers vers : Toutes les tables bordent les ruisseaux et tournent pour ne plus reparaître près d’un lit allaitant les moineaux. Nous sommes en 1948, ou avant ; en tout cas près de la fin de la guerre. Le surréalisme allume ses derniers feux. J’ignore si Roger avait lu Freud et les surréalistes, et ça n’a guère d’importance : il y eut Freud et les surréalistes parce que la société le demandait. L’époque était venue. Le siècle demandait aussi ces très étranges poèmes. "Toutes les tables bordent les ruisseaux". De quelles tables et de quels ruisseaux s’agit-il ? Les tables sont-elles couvertes : de plats, de vases, de fleurs ? Quels sont ces ruisseaux : de la joie, de la douleur ou d’eau vive ? Cependant, malgré les questions on voit bien la scène : des tables – des rives ? – bordent des ruisseaux et tournent comme font toutes les tables pour disparaître … dans leurs images abandonnant le ruisseau qui lui s’écoule et demeure comme moi, comme le peintre, comme le monde. Nous coulons et demeurons ; les tables "tournent pour ne plus reparaître près d’un lit allaitant les moineaux" : et là je perds le fil, à moins d’appeler à mon secours des images érotiques, enfantines et si vieilles… Il est inutile d’essayer de faire passer dans l’univers expliqué cette écriture automatique qui nous rappelle certains tableaux de Roger. Le sens du monde est-il si petit qu’il ne dépasse pas l’épi de blé ? Sans doute. Il convient seulement d’aller dans le poème, dans ses images, comme on avance dans le champ de blé. Puis : Dans le chemin d’une prairie sans fleurs la viande de cheval dort, il a perdu sa crinière dans une bourrée d’épines son sabot percé, il dort sur le dos ; Cette fois, il s’agit d’une description « réaliste » : il faut se reporter aux chevaux du peintre et du dessinateur. Mais c’est la viande de cheval qui dort. Il faut se reporter au boucher chevalin. Mais le sabot est percé, comme la main du Christ ; mais sa chevelure s’est accrochée dans les épines. Ce sont là des constatations, des traces, des signes d’un crime peut-être. En poésie comme en peinture, Roger fait un bilan : le crapaud est sur le gibet, la poire dans la bouteille, le marin est mort sur une planche, Dante, Goethe, Beethoven portent des traces… C’est ainsi que le détective travaille : se sont-ils tous accrochés dans les épines ou s’agit-il d’un assassinat ? Ou faut-il toutes ces égratignures pour le Jugement de Dieu ? Un cri appelle les femmes venant de la moisson pour avaler le couteau et couper le jambon ; la pointe fond le cœur, écorche la peau, la litière des animaux est un lit de repos, pour respirer les bienfaits de la misère du rossignol au corbeau noir l’horizon appelle encore la fenaison. L’incohérence, le sens bref, l’incompréhension sont sans aucun doute les premières réactions de celui qui entre encore étranger dans le monde nouveau d’un poème. Soudain la rigueur de la raison, la beauté et la profondeur des sens, la clarté apparaissent : il semble alors qu’on ait pris les clés et ouvert les portes. Cette lumière paraît en chaque poésie authentique.
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Le Cheval mort - 1955 Huile sur toile - 0,50 x 0,65 m Collection particulière |
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Le "Quai Saint-Laurent", ce sont des « tableaux » ; il nous faut simplement quelques temps pour que nous passions du poème au tableau qui s’y situe. Ce sont des tableaux vivants comme naguère il y en avait sur les champs de foire, mais évidemment à un autre niveau : La fête est sur le bord du canal la grande joie va commencer en respirant l’odeur du noyé. Comme souvent chez Roger Toulouse, la fête trouve dans la mort son origine et sa fin. On cogne là-bas sur les chaussées – Les bottes de muguet brûlent dans le papier. Les bœufs perdent leur corne dans les prairies fleuries où la boue enlise l’œil de l’enfant… On voit bien que chaque vers descriptif pourrait être un tableau. "Les bottes de muguet brûlent dans le papier. Les bœufs perdent leur corne dans les prairies fleuries" : on reconnaît au loin des thèmes du peintre. Mais si autrefois on filait la métaphore, on prenait soin de ne pas casser le fil, ici, il n’y a de fil que loin derrière les images : où la boue enlise l’œil de l’enfant… coupant les fils du beau temps C’est d’abord incompréhensible : la boue ne peut couper… Mais on saisit en un éclair : la boue enlise l’œil, occulte le regard, alors le temps s’efface, comme la lumière et le monde disparaissent quand on meurt… Aussitôt après intervient le piège qui est toujours pour Roger Toulouse un cher danger : La taupinière dans l’herbe devient un piège pour l’épervier Cette image paraît d’abord purement mentale : les éléments du monde semblent reconstruits selon une logique nouvelle. Mais cette image ne se fonde-t-elle pas sur ce qu’a vu l’auteur ? L’épervier n’a-t-il pas plongé sur la taupe, et bien que cela paraisse impossible, n’est-il pas resté prisonnier du trou ?
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Martyr sous le soleil - 1950 Gravure au burin - 0,26 x 0,31 (cuvette) Monogrammée RT dans la plaque Collection particulière |
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Ce poème s’achève par : Tout le monde parle, c’est l’heure de succomber. Proposition étrange : la parole, ce petit sens du monde qui naît du monde, sonne l’heure de la mort : on ne s’entend plus. Est-ce le nombre déjà étouffant des hommes ? Aucune place ne subsiste, il y a trop de monde dans le monde ; on étouffe dans les milliards d’étoiles, dans les milliards de mots. Les cailloux du canal emplissent les chantiers c’est l’heure du signal, toutes les panses seront percées Les visages se cachent dans le blé les bannière sont là qui soufflent… Les bannières ! Est-ce la guerre ? Sans doute c’est la guerre. C’est d’ailleurs curieux : la prosodie de Roger Toulouse est presque régulière : les rimes même existent en bourgeons (plus – mur – matin – loin – porte – repartir – planche – rouille – place – cassé, etc). Le poème d’ailleurs souvent se clôt dans un monde clos : Il ne faut plus regarder la fumée, c’est une main qui va finir dans une chambre fermée
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Dessin illustrant la 1ère de couverture de l'édition originale de 1948 |
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poèmes pour quelques amis - 1948 |
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Justification de la date et du tirage en 4ème de couverture de l'édition originale de 1948 |
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Septembre 1997 Editorial lire l'article
Un poète, un ami
Les arts en province, éléments pour un portrait de Roger Toulouse
(René Guy Cadou)
lire l'article
Roger Toulouse
(René Guy Cadou)
Notes sur le poème « Roger Toulouse » de René Guy Cadou et sur la publication qu’en fit Pierre André Benoît en 10 exemplaires le 15 février 1949
(Pierre Garnier)
Roger Toulouse, poème de René Guy Cadou édité par P.-A. B. Note descriptive
(Jean-Louis Gautreau)
Quatre poèmes de René Guy Cadou sur quatre portraits de Roger Toulouse
(José Millas-Martin)
lire la suite
Etudes de l’œuvre
Participation de Roger Toulouse à l’ornementation des façades du Centre municipal et du musée des Beaux-Arts d’Orléans
(Isabelle Klinka-Ballesteros)
lire l'article Les principaux thèmes traités pendant la période des triangles
(Jean-Louis Gautreau)
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Etude d’un tableau « Le Dinosaure au Rocher »
(Jean-Louis Gautreau)
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Anecdotes et biographie
Les ateliers de Roger Toulouse
(Jean-Louis Gautreau)
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Une exposition Roger Toulouse à Orléans en 1965
(Jean-Louis Gautreau)
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Roger Toulouse et Marcel Béalu, l’amitié de deux jeunes créateurs
(Jean Perreau)
Hommage en miroirs à Roger Toulouse
Poème
(Pierre Garnier)
Quai Saint Laurent, poèmes pour quelques amis, 1948. Des notes en attendant une étude
(Pierre Garnier)
lire l'article
Sur un tableau blanc de Roger Toulouse
(Pierre Garnier)
Document
Une fenêtre ouverte sur le rêve
(Michel Manoll)
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Silence et Cri
(Jean-Jacques Lévêque)
Parution d’un livre d’art
Roger Toulouse (1918-1994), peintre et illustrateur, de Marguerite Toulouse et Jean Perreau
(Pierre Garnier)
Poème
Roger Toulouse
(Thierry Guérin)
Vie de l’association
Les œuvres de Roger Toulouse conservées au musée des Beaux-Arts d’Orléans
Dons au musée des Beaux-Arts d’Orléans
Les évènements de l’année
Le courrier des lecteurs
Composition du Conseil d’Administration
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Louisfert, 7 déc. 48 Mon cher Roger, [...] Il me reste maintenant à te dire, mon bien cher Roger, entre quatre-z-yeux pour que tu n'aies pas à en rougir et pour que les copains ne soient pas jaloux, que jamais aucune autre lecture de poèmes ne m'avait autant bouleversé que celle des tiens depuis l'âge où Michel me fit découvrir "les Epaves du Ciel" de Reverdy. [...]
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